LA RESTAURATION DES BÂTIMENTS
Travaux et découvertes
Le déblaiement des ruines
demandait de pénibles efforts mais procurait de grandes joies, comme par exemple la
découverte d'une pierre tombale ornée d'un bel écusson à fleurs de lis,
au nom de Pierre d'Estaing. Autres trouvailles, les débris du tombeau
des comtes d'Armagnac et de Rodez. Plusieurs squelettes superposés
furent aussi découverts lors de la mise à nu de l'emplacement de la
salle capitulaire, d'autres pierres tombales, notamment celle de Dom Carrié, abbé au XVIIe siècle. Surtout,
une Vierge romane du XIIe siècle est restée intacte dans sa niche au dessus du portail d'entrée; c'est elle qui
figurait sur les armoiries des moines, d'azur à une Vierge à l'Enfant d'argent. Les
moniales les reprirent en y ajoutant cette prière: Trahe nos, post te
curremus (Cantique des cantiques, 1,4: Entraîne-nous, sur tes pas nous courrons), ô reine de Cîteaux.
Ruines de Bonneval, vues du côté du Midi en 1875.
Après la remise en état des
aqueducs et des égouts du monastère primitif par des ouvriers spécialisés, il fallut songer à la
reconstruction du monastère. Le père Emmanuel conserva le plan primitif
ainsi que les murs (jusqu'à 2 mètres d'épaisseur...) qui restaient encore. La première pierre fut posée et
bénie le 19 juillet 1877. Les travaux allèrent plus ou moins vite selon
les ressources, car ni la communauté ni le père Emmanuel ne voulaient faire de dettes. "Je
les crains comme le feu",disait-il souvent. Il lui répugnait bien
davantage de retarder le paiement des ouvriers. Bien souvent, saint
Joseph pourvut à remplir la caisse vide!... Son rôle protecteur fut
toujours efficace, de même que le dévouement et le zèle reconstructeur
du père Emmanuel qui n'hésitait pas à partir en voyage pour collecter
les fonds nécessaires.
En mai 1878, a lieu l'installation d'une petite chocolaterie destinée à
procurer à la Communauté une "honnête subsistance". "En règle générale,
les religieux et religieuses de Cîteaux doivent vivre du travail de
leurs mains et non pas d'aumônes. Ce n'est que dans un besoin pressant
qu'il leur est permis de recourir à la charité des fidèles". Or, jusqu'à
cette date, les soeurs de Bonneval n'avaient pas, pour ainsi dire, de
gagne-pain... Elles avaient les produits de la ferme, mais ils
étaient insuffisants: il est trop difficile de cultiver les pentes
abruptes de la vallée de Bonneval. Une industrie était nécessaire. Le
père Emmanuel jugea qu'une fabrique de chocolat conviendrait et serait
suffisamment lucrative.
"Tu te nourriras du travail de tes mains..." (Ps 128,2)
Les débuts furent des plus modestes. On acheta
l'outillage d'une petite chocolaterie des Filles de la Charité de
Clermont-Ferrand à un prix très modéré, et une machine à vapeur. On
installa le tout près de la porterie. La fabrication put commencer, avec
moult difficultés.
Restauration de l'église (vers 1876)
En 1881, le
moteur à vapeur ne suffira plus; Dom Emmanuel fera construire une digue
sur la Boralde pour placer un moteur hydraulique. "Le bon père entreprit
une oeuvre dont le résultat fut tout à son honneur. Ce qui manquait le
plus à l'usine, c'était la force motrice. Or cette force existait
là-bas, au fond du ravin, dans l'eau impétueuse de la Boralde qui n'est
jamais à sec. Le religieux n'hésita pas à faire le nécessaire pour
l'utiliser. Sous sa direction, on établit une forte digue sur le torrent
et une turbine fut installée sous une chute de 6 mètres. Reste à
communiquer le mouvement à l'usine accrochée là-haut au flanc de la
montagne, à 150 mètres au dessus de la Boralde. Cette communication aura
lieu à l'aide d'un câble d'acier que des volants maintiennent de
distance en distance... Et voilà du coup Bonneval transformé en une
maison industrielle, à la grande admiration des visiteurs et des paysans
des environs qui n'avaient rien vu de pareil. 'Il faut tout de même que
ce père Emmanuel soit bien intelligent', se disaient-ils les uns aux
autres". L'industrie ne fit pas oublier la culture de la propriété.
Bientôt, on put contempler un beau verger planté de nombreux pieds de
vigne et d'arbres fruitiers. Bonneval devenait ainsi, au milieu des terres abruptes et rocheuses qui
l'entourent, une délicieuse oasis ou, comme le disait le père Emmanuel,
"un doux petit nid dans lequel il ne demandait plus qu'à finir ses
jours".
Aux travaux
matériels, le père veillait à ne pas négliger le soin des âmes. Il
prêchait, confessait, dirigeait les coeurs. Son ministère s'exerçait
même au dehors. Que de fidèles venaient à lui ! Tout ce laborieux
ministère ainsi que les autres travaux furent brusquement interrompus par un ordre de l'autorité religieuse. Il fallait rentrer à
Aiguebelle. Le père Emmanuel obéit et dut réconforter les pauvres
religieuses toutes désolées à l'annonce de son départ. Son absence fut
de courte durée - trois mois - tant les récriminations des religieuses
pour faire revenir le père furent nombreuses et aboutirent à infléchir
les autorités religieuses.
Les travaux
de restauration allèrent bon train. Les murs du monastère étaient à peu
près achevés. On restaura le cloître et le solarium qui le surmonte. La
maçonnerie finie, on s'occupa de l'intérieur. Tout se fit rapidement. Le
20 novembre 1883, Dom Étienne de la Trappe viendra bénir le nouveau
monastère. La première pierre avait été posée le 19 juillet 1877. La
chapelle sera maintenue dans une aile du cloître parallèle à l'église
et, le 13 avril, jour de Pâques 1884, on prendra possession du
nouveau monastère.
De l'ancien et du nouveau
L'année
suivante vit s'effectuer une entreprise de grande importance et qui
rendit célèbre le pieux restaurateur de Bonneval. Nous voulons parler de
l'éclairage du monastère à l'électricité. Aujourd'hui, on regarderait la
chose comme banale, mais en 1885-1886, c'était une vraie nouveauté.
"Aucune ville, aucun établissement en France n'avait encore adopté,
paraît-il", écrit l'annaliste, "ce mode d'éclairage importé d'Amérique".
Aussi, le bruit s'en répandit au loin. La piété ingénieuse du père
Emmanuel se plut à choisir la nuit de Noël 1885 pour inaugurer le nouvel
éclairage.
Après de
"bons et loyaux services" au sein du monastère de Bonneval, le père
Emmanuel fut envoyé, en 1888, par Dom Marie, le nouvel abbé
d'Aiguebelle, à Bonnecombe, pour assister dans ses fonctions le Révérend
Père Ephrem, malade, et poursuivre la restauration du monastère. Les
bonnes soeurs ne se méprirent pas sur la portée d'un tel ordre. C'était
bien définitivement que le père Emmanuel allait les quitter. En 1895,
les moines de Bonnecombe l'élurent pour leur abbé. Comme toujours,
l'humble et obéissant religieux se soumit et accepta ce dernier fardeau,
avec le plus amoureux "fiat" à la volonté divine. Il sera enterré dans
le cimetière du monastère de Bonneval au milieu de "ses filles", le 27
juin 1901.
En 1886,
entre en charge la Révérende Mère Lutgarde qui restera trente ans à la
tête du monastère. C'est elle qui fera rebâtir l'église, bénite le 2
février 1896. Il aura fallu faire sauter la voûte et les piliers, mais
on put conserver intact le chevet à cinq pans de la fin du XlVe siècle
qui avait remplacé le chevet primitif. Les soeurs se firent manoeuvres
pour déblayer. La reconstruction s'étendra de 1894 à 1896. Mais ce ne
sera que le 9 juin 1927 que la nouvelle église sera consacrée, à la même
date que la consécration de l'ancienne église des moines. Le 7 juin
1891, l'antique croix processionnelle des moines est rendue au
monastère, grâce à la générosité des comtes d'Armagnac.
|
|