PORTRAITS DE FONDATRICES
Avant de
poursuivre l'historique chronologique de l'abbaye, il serait intéressant
de faire connaissance avec quelques physionomies cisterciennes des
débuts.
Mère Lutgarde Bru
Révérende Mère Lutgarde
Marie Bru
est née d'une famille chrétienne et terrienne de l'Aveyron, le 24
décembre 1855. D'un caractère trempé, elle entre à Bonneval à vingt-trois ans.
Après sa profession, elle est nommée cellérière, c'est-à-dire
gestionnaire du temporel du monastère, charge difficile en cette période où
le gagne-pain de la communauté n'est pas encore très affermi et où il faut
payer la reconstruction de l'abbaye. Dom Emmanuel se l'adjoint pour surveiller les ouvriers, très nombreux à
cette époque. Elle s'acquitte à merveille de cette fonction. Elle devient
également maîtresse des converses, charge dans laquelle elle sait, par sa bonté, s'attirer
l'estime et l'affection de ses soeurs. En 1886, à l'âge de trente et un
ans, elle devient prieure (c'est-à-dire supérieure du monastère qui n'est encore qu'un prieuré),
succédant à Mère Marie Augustin. Sous la direction de Dom Emmanuel, elle n'a pas ménagé sa peine:
- Réfection d'une partie des murs de clôture qui s'effondraient;
- Un incendie éclate, et les granges et les greniers sont la proie des
flammes. Il faut reconstruire;
- Après avoir recueilli des aumônes, elle entreprend la reconstruction de
l'église, du cloître;
- Les vocations affluent: il faut essaimer.
Après mûre réflexion, la chose est décidée pour Mariaval, au diocèse de
Périgueux. Hélas! Après beaucoup de peines, de démarches, de travaux et
de soucis de toutes sortes, on est obligé de se rendre à l'évidence: la
fondation n'est pas viable. Il faut y renoncer. Mais la communauté reste trop nombreuse et l'actualité va bientôt
l'obliger à se lancer à nouveau dans l'aventure d'une fondation.
Les fondatrices de Notre-Dame du Bon Conseil auprès de la tombe de Dom Emmanuel Bernex à Bonneval,
avant leur départ pour le Canada en 1902.
En 1901, les menaces qui pesaient sur les communautés religieuses se font plus explicites:
les lois Combes (1er juillet 1901) obligent tous les ordres religieux, congrégations et communautés
à obtenir une "reconnaissance légale", sous peine d'expulsion. Une grande partie des religieux
n'obtiendront évidemment pas cette reconnaissance en ces temps d'anticléricalisme, et seront de
fait expulsés. Toutes les maisons religieuses essaient donc de préparer des points de chute à l'étranger.
Pour les monastères cisterciens d'Aveyron, Bonneval et Bonnecombe, ce sera au Canada.
A la recherche d'un refuge qui pourrait également accueillir une partie de ses trop nombreuses vocations,
Mère Marie Lutgarde établit donc une fondation, Notre-Dame du Bon Conseil, à Saint
Romuald au Canada, en 1902. Ce monastère deviendra autonome en 1924.
Voici ce qu'on peut lire dans les Annales du monastère de Bonneval:
"Depuis longtemps, l'orage grondait; enfin il a éclaté sur notre pauvre
patrie: guerre à Dieu et à la religion... Après plusieurs voyages (7 en
tout), cette femme courageuse affrontera toutes les difficultés pour se
rendre en Amérique et découvrir un lieu favorable à une fondation en cas
d'expulsion, et établir un nouveau monastère. Ce fut une grosse charge
pour la Communauté-mère de Bonneval, qui prenait sur elle les frais de
construction, l'ameublement intérieur et la mise en marche d'une
fabrique de chocolat. Elle ne recula devant aucun sacrifice".
Finalement, les trappistes ne seront pas expulsés, au contraire des bénédictins,
des chartreux, des jésuites... Reconnus comme d'inoffensifs travailleurs agricoles
sans influence sur le monde, ils ne seront pas inquiétés. Mais de nombreux monastères
créés à l'époque pour être des "refuges" hors de France, subsistent toujours et sont devenus
des abbayes autonomes.
Les premières supérieures de Saint Romuald au Québec furent des soeurs de
Bonneval: Mère Joseph, Mère Séraphine Vayssette qui fit construire
l'église, Mère Michaël et Mère Marie Charité, toutes venues de Bonneval.
Ensuite, les vocations ont afflué et bien sûr les supérieures ont été canadiennes.
Comme Bonneval, le Bon Conseil vit d'une chocolaterie et d'une exploitation agricole. Mais la
proximité du fleuve, avec tout son trafic, et la ville qui a avancé, et
la taille des bâtiments difficiles à entretenir pour une communauté plus
réduite au début du XXIe siècle, ont conduit à la question d'un changement de lieu. Un transfert a donc été décidé
par la communauté, qui est installée depuis 2002 à Saint-Benoît-Labre.
Mère Lutgarde fut durant son long priorat un chef, une vraie supérieure et
en même temps une mère... Elle sut allier la force et la bonté. "Qui
trouvera une femme forte? Elle est d'un tel prix qu'il convient de la
rechercher jusqu'aux extrémités de la terre" (Proverbes, 31, 16).
Durant trente ans, à raison d'une élection tous les trois ans,
elle fut réélue à l'unanimité des voix.
Révérende Mère Marie-Antoinette
Mère Marie-Antoinette fut élue prieure en 1916 et réélue jusqu'en 1927,
date à laquelle elle prit le titre d'abbesse, par décision du Chapitre
général de l'ordre, et qu'elle garda jusqu'en 1930, année de sa mort.
Dès l'âge de seize ans, elle entra au monastère de Bonneval.
Successivement sous-prieure, prieure et abbesse, elle avait conquis le
coeur de toutes ses filles. Pendant ses quatorze années de priorat ou
d'abbatiat, nombreux furent les travaux et les sollicitudes de Révérende
Mère Marie-Antoinette pour le bien spirituel et temporel du monastère:
amélioration dans les bâtiments, aménagement de la chocolaterie,
transformation de l'ancien moulin des moines en usine électrique. En
1927, un éboulement détruisit la petite turbine. La chocolaterie resta
six mois sans pouvoir travailler. C'est alors qu'on installa l'usine
électrique dans le vieux moulin. Ce désastre fut un bien pour la petite
industrie: un chocolatier de Limoges, M. Daccord, ayant appris la
détresse de la Communauté, s'offrit pour aider les soeurs et céda tous
ses secrets de fabrication. Le 20 octobre 1927, Mère Marie-Antoinette
reçut le titre d'abbesse, conformément à la décision du Chapitre
général, dont voici le texte: "Afin d'établir l'uniformité dans
l'appellation des supérieures de nos Communautés de religieuses, toutes
porteront le titre d'abbesse et auront pour insignes une croix et
un anneau très modeste". Son Excellence Mgr Chaillol, évêque de Rodez et
de Vabres, assisté du Révérend Père abbé de Bonnecombe, eut la grande
joie de remettre solennellement à la Révérende Mère la croix et l'anneau, après
les avoir bénis.
Révérende Mère Marie de l'Assomption
L'élection d'une nouvelle Mère abbesse eut lieu le 27 décembre 1930. Au
premier tour du scrutin, la Révérende Mère Marie de l'Assomption Bru
réunit l'unanimité des suffrages. Il en sera de même tous les trois ans
jusqu'en 1963. Nièce de la Révérende Mère Lutgarde, elle possédait
toutes les qualités de cette dernière, avec plus de bonté encore.
D'importantes améliorations matérielles ont été accomplies sous son
abbatiat: l'aménagement et la construction d'un nouveau corps de
bâtiment à l'hôtellerie, l'installation du chauffage central à l'église,
la modernisation des machines de la chocolaterie, l'adduction d'eau au
monastère et la création de nouveaux réservoirs, l'aménagement de la
salle des converses, l'installation des orgues à l'église. Si importants
qu'aient été ces travaux, la Révérende Mère Marie de l'Assomption donna
toujours la meilleure part de son attention au bien spirituel de la
Communauté.
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